Grandes manoeuvres dans la pharmacie américaine
LE MONDE | 10.03.09 | 10h18 • Mis à jour le 10.03.09 | 11h58
Six semaines après le rachat du laboratoire américain Wyeth par son compatriote Pfizer pour 68 mil iards de dol ars, une autre opération géante vient rebattre les cartes du secteur pharmaceutique. Merck a annoncé, lundi 9 mars, l'acquisition de Schering-Plough pour 41,1 mil iards de dol ars (32,37 mil iards d'euros). Le nouvel ensemble totalisera un chiffre d'affaires de 47 mil iards de dol ars, ce qui en ferait le numéro deux mondial derrière justement Pfizer-Wyeth, si les actionnaires approuvent l'opération. OPÉRATION DÉFENSIVE
Pour Merck, la logique de l'opération est clairement défensive. Le groupe doit faire face à l'arrivée à échéance de brevets sur plusieurs de ses "blockbusters" (médicaments générant plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires).
Le Cozaar (hypertension) tombera dans le domaine public en 2010 et le Singulair (asthme) en 2012. Ensemble, ces deux médicaments ont généré environ 8 mil iards de dollars de chiffre d'affaires en 2008, soit un tiers de ses ventes.
Merck n'a pas été capable de développer de molécules suffisamment prometteuses pour espérer compenser pareil manque à gagner. C'est pourquoi il se lance dans une tel e acquisition.
La fusion permettrait à Merck de doubler son portefeuille de molécules en phase ultime de développement. Le groupe évalue à 3,5 mil iards de dol ars les économies annuelles tirées de la fusion au-delà de 2011. L'opération devrait avoir un impact positif sur son bénéfice par action dès la première année.
"Les synergies sont faciles à mettre en place dans la pharmacie, où les coûts d'administration et de distribution représentent environ 30 % du chiffre d'affaires", commente Béatrice Muzard, analyste chez Natixis Securities.
Pourtant l'opération a été froidement accueillie en Bourse, l'action Merck cédant 7,7 %, lundi en clôture à Wal Street. Le titre Schering-Plough lui bondissait de 14,18 %, l'opération offrant à ses actionnaires une prime de 34 % par rapport au cours du 6mars. NOUVEAU MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT
Ces opérations géantes s'expliquent par le fait qu'aux Etats-Unis et en Europe, les deux tiers des médicaments traitant les pathologies les plus communes (hypertension, diabète, cholestérol.) sont désormais disponibles sous leur forme générique. A cela s'ajoute une pression sur les prix du fait de la volonté des pouvoirs publics de limiter les dépenses de santé.
Les laboratoires sont ainsi amenés à repenser leur modèle de développement. "Dans les dix prochaines années, le modèle fondé sur la mobilisation de nombreuses équipes de visiteurs médicaux, de budgets de milliards de dollars dédiés à la diffusion d'échantillons de médicaments gratuits, de mil ions de dollars consacrés à la publicité télévisée et au démarchage des médecins et des patients sera sérieusement ébranlé", prédisent les experts de PriceWaterhouseCoopers dans une récente étude.
"L'ère des blockbusters est terminée, confirme Thierry Verrecchia, analyste chez Raymond James Euro Equities. Dans l'avenir, les laboratoires ne voudront plus dépendre de quelques médicaments vedettes. Ils vont chercher à répartir leur portefeuille sur un plus grand nombre de molécules."
MUTATION VERS LES BIOTECHNOLOGIES
Le modèle d'avenir est-il celui de Roche ? Le groupe suisse fait le pari des biotechnologies plutôt que de se lancer dans la course aux "blockbusters". Roche a ainsi pris le contrôle, en 1990, de l'américain Genentech. Il tente en ce moment de mettre la main sur les 44,4 % qu'il ne détient pas encore.
Selon le Wall Street Journal du 9 mars, la société de biotechnologies aurait finalement accepté une offre à 95 dol ars de la part de Roche. A ce prix, le montant total de l'opération atteindrait 46,7 milliards de dollars.
Les autres laboratoires se sont lancés plus tard que Roche dans la course aux biotechs. En attendant, ils fusionnent, à l'instar de Merck et Schering-Plough pour gagner du temps et se donner les moyens pour accompagner cette mutation, qui sera lente.
Ces grandes fusions ont donc encore de beaux jours devant elles, d'autant que les laboratoires redoutent qu'aux Etats-Unis, la nouvelle administration fasse baisser le prix des médicaments du fait de la réforme du système de santé annoncée par Barack Obama.
Fragilisés par l'expiration de plusieurs de leurs brevets entre 2010 et 2014, l'américain Bristol-Myers Squibb et le Britannique Astrazeneca sont régulièrement cités parmi les cibles potentielles.
Pour l'instant, les groupes européens sont restés à l'écart des grandes manœuvres. Les présidents des principaux laboratoires du Vieux continent ont déclaré qu'ils n'envisageaient pas d'acquisition d'envergure. "De plus, l'expérience montre que les fusions entre sociétés européennes et américaines sont vouées à l'échec", ajoute Jean-Jacques Le Fur.
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